Chapitre 10 – La Catena

 

— Quel délai avant l’ultime moment vous reste-t-il donc ?

— Helen, s’il te plait, cesse ce vouvoiement. Je crois que c’est un dernier souhait que je peux me permettre de te demander, non ?

La Suédoise tiqua avant de hocher la tête, fixant sa vieille amie qui, physiquement, n’était déjà plus que l’ombre d’elle-même. La chimiothérapie et les rayons, s’ils n’avaient su vaincre son cancer, étaient parvenus à la terrasser, elle, là où des hordes d’espions de tous les camps n’y étaient jamais parvenues. Ses cheveux noirs, jamais décolorés par l’âge, n’étaient plus qu’un souvenir et le teint hâlé de sa peau s’était changé en un jaune parcheminé. De sa force, il ne restait en vestige que la brillance intense de ses yeux bleus, entourés de cernes noirs. Étrangement, elle n’était pas vieillie par la maladie, et paraissait toujours n’avoir qu’une petite cinquantaine d’années qui aurait épargné la beauté de sa jeunesse. Celle-ci semblait juste de ce charme mélancolique qu’on admire à une fleur fanée…

— Je n’ai plus tutoyé personne depuis la mort de Scarlet. Et avant cela… tu supposes bien que tutoyer a toujours été une situation quelque peu étrange pour moi. Mais tu ne réponds pas à ma question, Alice. Je comprendrais bien sûr que tu ne souhaites pas aborder ce sujet.

— Scarlet. C’était dans les années trente, non ? Ton amante ?

Helen répondit en prenant sur elle de n’y laisser paraitre que le moins possible d’émotions. La peine lui nouait la gorge et lui enfonçait des pics d’acier glacé dans le cœur et les poumons :

— Ce qui se passe ici me rappelle ce douloureux moment. Elle est morte à votre… ton âge, sans doute d’une assez similaire manière, mais les connaissances médicales des hôpitaux anglais, en 1936, ne lui laissèrent aucune chance.

— Je n’en ai pas plus, Helen. Le carcinome est foudroyant ; peut-être que six ou huit mois plus tôt, le traitement aurait pu avoir effet. Il me reste… tout au plus un mois, avec de la chance. Je dois avouer qu’entendre parler de chance dans ces conditions a été amer à entendre. C’est plié, je vais mourir, les seules choses qui me restent à faire sont de me mettre en accord avec Dieu et régler mes affaires ici…

— Je suis tellement… impuissante face à la douleur que peut être une telle expérience, Alice. Je ne comprends même pas la maladie.

— Tu te trompes ! Le pire n’est pas de mourir, Helen. C’est d’être celle qui reste après et ta malédiction est que tu es toujours celle qui reste. Moi je puis dire que j’ai bien vécu et que je vais partir sans presque aucun regret. Mais toi, tu vis depuis si longtemps sans jamais pouvoir te dire : j’ai bien vécu, je n’ai rien à regretter… C’est toi qui aura mal quand je ne serai plus là, mon amie.

Helen ne répondit rien. Alice souriait et tendit la main vers la Suédoise, se redressant un peu depuis son fauteuil hospitalier éclairé de la lumière de la fin d’été. D’un doigt, elle rattrapa une des larmes qui coulaient des yeux verts de son amie :

— Pratiquement cinquante ans d’amitié, et à quelques jours de la fin, je te découvre assez humaine pour pleurer…

 

***

 

Le bruit de la douche qui échappait de toute évidence au contrôle de Calliopé sortit Helen de sa rêverie mélancolique. Ses adieux à la mère de la jeune femme faisaient partie de ses plus douloureux souvenirs récents. Mais combien d’autres de la même teneur avait-elle en tête ? Trop, de toute évidence. Tant qu’elle avait même parfois songé à mettre fin à sa vie immortelle dans l’espoir de cesser d’en cumuler encore. Pourquoi avait-elle renoncé à mourir, d’ailleurs ?

Elle se posait encore la question en approchant de la porte de la salle de bain, laissée ouverte sur son ordre insistant. Quelques pas avant de rejoindre l’appartement, le duo avait constaté avec soulagement le retour de l’électricité et Helen avait immédiatement trainé Calliopé jusqu’à la douche et l’y avait installé de force en ouvrant l’eau chaude, le temps qu’elle cesse de grelotter, avant de la laisser se débrouiller toute seule. Elle était cependant restée derrière la porte, en se dévêtant partiellement et en s’épongeant pendant que sa jeune amie se réchauffait.

— Tout va bien Calliopé ?

Un grommellement répondit suivi de quelque chose de plus intelligible :

— J’ai les mains gelées, j’ai lâché le pommeau de douche. Je suis navrée, tu as une serpillère ? J’en ai foutu partout.

Helen lâcha un léger rire :

— Un peu d’eau propre par-dessus de l’eau sale ne changera pas grand-chose à l’affaire. Laissez cela et occupez-vous de vous réchauffer. Je vais aller vous trouver des vêtements secs.

— Heu… t’as quelque chose à ma taille ?

— Vos vêtements informes quand nous avions refait votre garde-robe feront bon office. Je vais les chercher, prenez votre temps.

Un moment plus tard, Calliopé, habillée chaudement libéra la salle de bain pour laisser Helen prendre sa place. En attendant le retour d’Helen, elle se lança dans la préparation d’un café fort, tout en mettant de l’eau à chauffer pour un thé. Elle éternua en renversant un peu de poudre d’éthiopien vert de commerce équitable et pesta un coup. Elle ne se faisait pas d’illusion, elle allait hériter d’un bon rhume et avait déjà le nez pris, après cette aventure trempée sous le froid parisien. Mais ce serait sans doute peu cher payer, du moins à priori, en échange du fin mot de l’histoire qui chamboulait sa vie depuis quelques jours.

Le fait de voir son quotidien bouleversé n’était pas vraiment ce qui la perturbait le plus. Elle avait vécu bien pire ; y compris le deuil d’ailleurs. Son père était mort à sa treizième année, lui aussi d’un cancer, que tout le monde supposait la conséquence indirecte de Tchernobyl. Et elle évitait de mentionner ou même de penser à ses six sœurs ainées : toutes étaient décédées dans leurs dix premières années. Elle n’en avait que de faibles souvenirs, les plus marquants étaient les six petites tombes décorées de bleu alignées au cimetière de Brasov. Elle se rappela des touristes autrichiens en train de photographier joyeusement ce haut lieu touristique de la ville, sans trop s’inquiéter qu’il y eût là des gens pleurant leurs morts. Mais elle se rappelait surtout des prières de sa mère, suppliant Dieu que sa fille vive au-dessus des tombes fleuries.

Elle pouvait désormais tirer un trait sur sa famille, sa dernière représentante directe était morte et elle n’avait pratiquement aucun lien avec le reste du clan Meliochev ; une affaire de secrets et des rumeurs de vie dissolue qui avait isolé Alice de ses proches. Calliopé savait fort bien que derrière les soupçons, il y avait bel et bien nombre de mystères qui dataient de son père et de son grand-père avant lui. Cela n’avait aucun rapport avec une vie dissolue, mais sans doute plus fortement avec de la politique et les années sombres de Ceausescu ; la jeune femme avait vaguement idée du nombre de familles ainsi divisées et mortellement séparées par ces décennies de dictature puis par la suite, par l’explosion de la criminalité au sein de la société roumaine. Alice avait dû sans doute faire de choix dramatiques et peut-être même causer des souffrances ; Calliopé n’en avait aucune idée. Mais, quelle que fût cette histoire, c’était aussi son héritage : le contenu du petit coffre dérobé au livreur d’UPS était peut-être bien une partie de la clef.

L’eau pour le thé était chaude et elle le prépara sommairement, loin de l’art avec lequel Helen s’y prêtait ; armée d’un café chaud et d’un mouchoir en papier pour tenter d’arrêter ses éternuements, elle s’installa dans le salon, écoutant le bruit léger de la douche avant de se décider à ouvrir la boite posée sur la table basse devant un canapé blanc de cuir brossé, au même style international que le reste de l’appartement. Celle-ci abritait uniquement un écrin, qui ne lui rappelait strictement rien, mais ce fut fort différent quand elle en souleva le couvercle pour apercevoir le pendentif. Oh oui, elle le connaissait bien ; elle l’avait souvent vue pendue au cou de sa mère. Elle le portait rarement, mais toujours avec fierté et attachement. Calliopé s’était toujours demandé pourquoi elle veillait toujours à le cacher la plupart du temps, mais n’avait jamais cherché, malgré toutes les bêtises qu’elle s’était permise enfant, à mettre la main dessus : elle savait combien il importait pour sa mère, un peu comme un trésor sacré, autant que la croix qu’elle portait elle-même au cou, cadeau de son père, plus précieux à ses yeux que ses plus rares artefacts de collection.

Elle prit doucement le pendentif ; ses mains se mirent à trembler, sa gorge se noua et elle s’effondra dans une crise de larmes, serrant contre elle le bijou de sa mère. Quel que fût cet héritage, le plus précieux, le plus douloureux à cet instant, était cette image d’Alice portant ce pendentif, ce qui ne pourrait plus jamais être autre chose qu’un souvenir.

La douche ne coulait plus depuis un moment, mais elle ne l’entendit pas plus que les bruits discrets d’Helen, qui la laissa pleurer en respectant son deuil, se glissant dans la cuisine pour y préparer un plateau de thé et de biscuits. C’est dans un peignoir aux allures de kimono et pour cause puisque c’était un yukata artisanal fait de lin qu’elle vint, toujours aussi silencieusement, déposer le plateau sur la table basse, avant de se décider à faire sortir Calliopé de sa peine, en s’adressant à elle:

— C’est le cristal d’Ishtar ; votre héritage. Celui qui comptait le plus pour votre mère. Il va de pair avec une histoire que j’ai le devoir de vous révéler, au risque de trahir une petite partie de la promesse que je lui fis avant son décès.

La Roumaine se redressa et se moucha bruyamment pour tenter de sauver les apparences ; vainement, elle le savait, mais elle n’aurait pu s’empêcher le réflexe de faire au mieux pour cacher ses larmes tout en sachant que cela ne donnait pas le change :

— J’ai choppé une belle crève avec cette histoire, j’ai déjà les sinus pris. Je l’ai vu souvent au cou de maman, elle le cachait encore plus souvent, je pensais simplement qu’il était de prix et qu’elle avait peur de le perdre.

— C’est en quelque sorte exact, répondit Helen, tout en s’installant dans un confortable fauteuil, et se pencher pour servir le thé. Vous le remettre voulait aussi dire vous expliquer le secret de votre famille. Le cristal d’Ishtar n’a jamais appartenu à votre mère ; je dirais plutôt qu’il était la propriété de la Catena Argentae et votre mère, en sa qualité de membre de la Catena, s’en était rendue de facto dépositaire.

— Stop, stop, stop… c’est quoi, la Catena Argentae ?

— En quelque sorte, une partie de vos ancêtres. C’est une institution très secrète qui prétend remonter à la Rome Antique, avec une organisation familiale : on n’y est invité comme membre que si on a un ancêtre répertorié dans la généalogie de la Catena. Le premier membre de cette société que j’ai rencontré était votre grand-père, Piatr Meliochev. Il me délesta sous la contrainte du bijou que vous tenez en main alors que lui et moi tentions de sauver les collections d’arts spoliés par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. Les débuts de la guerre froide et quelques années plus tard, nous nous retrouvâmes contraints à la complicité et une longue amitié en naquit. Quant au cristal d’Ishtar, il le confia à votre mère, préférée à votre père trop impliqué dans la politique roumaine, pour prendre la succession de son poste au sein de la Catena. Elle aurait dû mettre ce bijou à l’abri dans un des refuges de l’organisation, mais ne put jamais s’y résoudre. À ma connaissance, ce bijou a toujours suscité ce genre de réactions possessives, bien que je n’en sache pas grand-chose sur lui. Votre mère aurait dû vous désigner à son tour comme sa successeuse, mais elle s’y refusait : elle pensait, et je lui donne raison, que votre vie serait bien meilleur et plus libre sans une telle responsabilité.

Draku… mais c’est quoi, au juste, cette organisation ?

— Des chasseurs d’artefacts historiques, pourrais-je résumer en simplifiant le propos. Du reste, je n’ai jamais été dans le secret du détail et des buts de la Catena. Ce que j’en ai appris par votre mère, et par déduction, est que la Catena se donne comme devoir de rechercher certains trésors historiques perdus qu’elle considère comme des sources de danger et les mettre à l’abri de la convoitise ou de la simple maladresse humaine.

— Tu veux dire quoi ? Des histoires comme le Saint Graal ou l’Arche d’Alliance ?

— Je serai tenté de répondre par l’affirmative, mais aussi les secrets anciens de matières dangereuses, de découvertes et d’artefacts uniques dont la nature et l’existence feraient courir un risque au genre humain. Au-delà de l’aspect qui peut apparaitre folklorique, la mission de la Catena Argentae est tout ce qu’il y a de plus sérieuse. J’ai pu entr’apercevoir des artefacts dont je ne m’explique pas plus la nature que les capacités, et l’organisation fut assez active et impliquée pour parvenir à s’attirer dans le courant du 20e siècle de gros ennuis avec d’autres organisations, gouvernementales et privées, voulant mettre la main sur ces mêmes trésors. Il y a un dernier point qui rend fort crédible le travail de l’organisation de votre famille, Calliopé : je suis l’un de ces artefacts que la Catena souhaite préserver et mettre à l’abri. Je ne suis pas la première immortelle qu’ils ont rencontrée, bien qu’ils n’aient pas voulu m’en révéler plus que « c’était il y a quelques siècles ». Ils pensent que ces rares immortels sont un autre héritage de ce passé qui a laissé derrière lui des choses merveilleuses, dangereuses et convoitées.

Calliopé fixait Helen sans rien dire, serrant toujours le pendentif dans ses mains. Au vu de son regard, Helen n’avait guère de mal à saisir son incrédulité. Elle finit tout de même par parvenir à poser une question :

— Maman était institutrice, mais partait souvent en voyage en colloques, en déplacements syndicaux… c’était… faux c’est ça ?

— Partiellement, en effet. Elle était bien institutrice, mais ses déplacements concernaient dans leur immense majorité son devoir et son rang de membre de la Catena. Je l’ai souvent accompagné dans ses aventures. La Catena Argentae ne comptait que très peu de membres compensés en partie par ses moyens financiers et structuraux importants, bien qu’ils s’épuisèrent dès les débuts du 21e siècle. Le perfectionnement des politiques et des techniques sécuritaires à travers le monde rendait ses activités secrètes de plus en plus difficiles. Je soupçonne qu’Alice en était très consciente. C’était la fin de la Catena, elle ne voulait pas que vous y perdiez votre futur ou votre vie…

— Cela aurait dû être à moi de choisir si je voulais faire partie de cela ou pas, mais…

Calliopé hocha la tête au geste tendre et insistant d’Helen qui poussa son thé vers elle, suivi d’une assiette de biscuits secs de recette flamande :

— Mais pour choisir, il aurait fallu que maman m’explique tout ce qui revenait à faire de moi de facto un membre de ce truc. Elle savait que j’aurais voulu tout savoir, tout comprendre et que j’aurais creusé sans m’arrêter jusqu’à obtenir mes réponses.

— Toute l’essence du choix cornélien résumé en quelques mots, oui. Vous donner le choix vous en aurait retiré tout autre que de devenir membre de la Catena. Il s’avère au final que même sa décision n’a que peu changé les faits : votre histoire familiale vous rattrape, nous venons d’en subir les affres.

Il y eut un silence, ponctué par les bruits de klaxon, de sirènes et de circulation lointaine qui signalaient que le chaos routier qui avait saisi Paris se résorbait dans l’agitation. Calliopé imagina qu’il devait y avoir des kilomètres de bouchons à tous les accès de la ville et que nombre d’axes intramuros devaient encore être totalement bouchés. Pour avoir un aperçu du désastre, il aurait suffi d’allumer une télévision ou plus simplement de consulter un smartphone. Mais Helen n’avait visiblement aucun appareil de télévision chez elle, le portable de Calliopé était noyé et, finalement, elle n’avait nullement envie de se faire confirmer ce qu’elle savait déjà.

Helen observait sa jeune amie sans rien dire. Elle aurait pratiquement pu suivre le cours de ses pensées simplement à détailler son regard, encore rougi de larmes… et sans doute, en effet, du commencement d’un bon coup de froid qui s’achèverait vraisemblablement en rhume. Ce qui venait d’advenir la rendait perplexe et allait nécessiter des recherches pour rapidement découvrir ce qui se tramait. Mais dans l’immédiat, les lignes de téléphone devaient être en grande partie saturées, tout comme les communications internet. Ce n’était guère le moment de faire jouer ses contacts et ses moyens d’information. Et puis, elle souhaitait surtout veiller sur Calliopé. Cette dernière finit par attraper un biscuit qu’elle mâchouilla en reposant délicatement le cristal d’Ishtar dans son écrin.

— Et donc, finit-elle par demander, on a mis l’électricité, les services routiers et la voirie de la moitié de Paris sur le toit pour détourner ce bidule, c’est ça ?

Helen hocha la tête :

— Et c’est un membre de la Catena, qui sait que j’en connais les arcanes et les mots de passe, qui nous a alerté que tous ces événements étaient liés à ce bijou, en effet.

— Il me surveillait moi, ou toi ?

— Difficile à affirmer, je pense que la réponse est quelque part entre les deux. Je compte bien à ce qu’il nous recontacte, mais il a démontré une prudence extrême qui m’incite à croire qu’il se considère en telle situation que toute tentative pour nous joindre se doit d’être organisée avec la plus minutieuse paranoïa.

Calliopé attrapa un autre biscuit et répondit, la bouche pleine :

— Ben il a raison. J’ai peut-être regardé trop de films et lu trop de conneries conspirationnistes sur le web, mais ce qui s’est passé, là, ça s’appelle une Fire Sale.

Helen leva un sourcil surpris alors qu’elle avalait une gorgée de thé chaud. Calliopé reprit :

— Ça doit dater de bien après que tu te sois mise à la retraite de l’espionnage. Une Fire Sale, c’est une attaque informatique coordonnée d’un système dont dépendent des sous-systèmes critiques. Tu veux arrêter la circulation et donc la venue des secours par la route ? Tu pirates les feux rouges. Tu veux t’assurer que pas une caméra ne peut filmer des événements ? Tu coupes tout bonnement l’électricité. Et bien sûr, si tu veux te débarrasser de la police, tu envoies une masse d’alerte et d’appels bidon, mais bien convaincants pour qu’ils soient occupés à chasser le dahu pendant que tu fais tes petites affaires. Plus tu démolis de systèmes, plus y’a de sous-systèmes qui s’effondrent par rebond.

— Je ne vous savais pas férue de piratage informatique ?

— Je ne le suis pas, mais je suis curieuse et je sais lire. Et on vient de le voir, on était en plein dedans, je sais pas du tout ce qui s’est passé, mais clairement, c’est bien ce qui est arrivé. Une attaque massive pour désorganiser toute la sécurité parisienne… Ma question c’est : pourquoi ? Pour ce bijou ? Ça parait carrément dingue ; je veux dire, ça semble disproportionné !

— Cela m’apparait surtout extrêmement compliqué non ? La sécurité informatique est un sujet rarement pris à la légère…

— Ben, ça dépend avec qui tu en parles. Mais oui, c’est très compliqué de réussir à mettre sur le toit autant de services en même temps. La difficulté réside surtout dans la réussite d’une attaque massive et coordonnée. C’est pour cela que, de ce que j’en sais, beaucoup de gens disent qu’une Fire Sale, ça reste du fantasme de fiction. Sauf qu’on vient d’en voir une en vraie !

— Vous soupçonnez donc et les faits vous donnent raison, que la valeur du pendentif de votre mère va bien au-delà d’une simple mesure pécuniaire, je me trompe ?

Calliopé posa son regard sur le cristal d’un vert très sombre, presque fumeux dans sa monture d’or finement ciselé. Il était plat, de forme rectangulaire, d’une surface un peu supérieure à l’ongle d’un pouce et jetait des reflets iridescents que ne ressemblaient pas du tout à l’éclat du quartz ou de l’émeraude, mais plutôt du diamant.

— Il me faudrait un microscope, un laboratoire, quelque chose de ce genre, pour l’étudier de près. Mais si tu as raison sur son histoire, Helen, la Catena Argentae sait ce que c’est. Maman savait ce que c’était. La réponse est entre leurs mains.

— Et vous souhaiteriez leur poser la question…

— Moi, je ne peux pas. Mas toi, si ; je me trompe ?

Helen acquiesça, mais se pencha un peu vers sa jeune amie, la fixant de son regard vert qui, Calliopé désormais pouvait le lire plus clairement, laissait deviner son âge véritable, comme un éclat mélancolique d’une profondeur sans fin :

— Est-ce votre souhait profond, Calliopé ? Il y a une alternative pour nous débarrasser de ce fardeau. Le Cristal d’Ishtar devrait revenir officiellement au British Museum, il serait aisé de le confier à la police et raconter son histoire. Il fut volé par les nazis à la collection Rothschild, il est toujours répertorié, votre maman le possédait, vous pourriez expliquer que vous n’en avez appris l’origine que depuis peu. L’inspecteur Duperez serait un très bon intermédiaire pour régler cette affaire, mes avocats fourniraient un appui efficace. Ce drame pourrait se résoudre simplement, mon amie et en toute sécurité.

Calliopé prit un moment pour répondre, rendant son regard à Helen, y lisant son inquiétude sincère et quelque chose de plus profond et intime dans ses yeux, quelque chose que la Suédoise sans âge dissimulait de son mieux. Elle inspira avant de lâcher, pas forcément très sûr d’elle pour le coup :

— Tu ferais quoi, toi, pour découvrir le secret de ton immortalité si tu avais une piste entre les mains ?

Helen comprit immédiatement et son sourire s’attendrit, mais elle joua le jeu en répondant :

— Je ne renoncerai pas, fût-ce une prise de risque critique. Je ne pourrais assumer un tel renoncement dont je porterais le poids toute ma vie, et vous la savez longue.

— J’ai un indice dans les mains, tu as les autres pistes et, au bout, il y a le secret de ce bijou et de la Catena dont tu connais si peu de choses. Tu crois que je pourrais encore me regarder en face si je renonçais à découvrir ce secret ? Si je renonçais à ne pas aller au bout de l’héritage de ma mère ?

— Votre maman souhaitait pour vous une autre vie, cependant. Je devais tenter de respecter son souhait à ce sujet et je me dois de vous le rappeler. Se lancer dans cette aventure est clairement dangereux, nous en avons eu la preuve.

Calliopé tira un sourire et tendit le cou jusqu’à être nez à nez avec Helen, l’air joueuse. La Suédoise du mettre en application tout son self-control pour ne pas piquer un fard de cette si délicieuse proximité.

— Depuis quand as-tu peur du danger, toi ? N’oublie pas que j’ai eu un aperçu de ta vie, c’est moi qui me serais sauvée en courant devant ce à quoi tu as fait face !

Helen lâcha un soupir et recula pour prendre une distance qui devenait une nécessité impérieuse. Elle maudit les sentiments qui l’assaillaient à ce moment et reprit dans un effort colérique son flegme naturel en ne laissant plus rien paraitre de ses émotions. Pourtant, ses mots trahirent, bien malgré elle, ce qu’elle voulait refouler et cacher devant sa jeune amie :

— Désormais et en ces circonstances, ce n’est pas pour moi que j’ai peur.

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